La lettre de réserve
Juillet 2015 — «Dans le contexte actuel où l’assureur est davantage sollicité afin d’assumer la défense de son assuré que par le passé, il devient primordial que sa position soit rapidement communiquée à son assuré et clairement énoncée…»
Dans le contexte actuel où l’assureur est davantage sollicité afin d’assumer la défense de son assuré que par le passé, il devient primordial que sa position soit rapidement communiquée à son assuré et clairement énoncée, ce qui lui permettra de baliser son obligation d’indemniser et/ou d’établir une règle pour le partage de frais de défense. C’est ce qu’a rappelé récemment la Cour supérieure dans la décision Touchette c. Oppenheim, 2014 QCCS 6039.
L’obligation de l’assureur de divulguer rapidement sa position découle de son obligation générale de bonne foi. Le juge Michel Robert, j.c.a., dans la décision Lapointe Boucher c. La Mutuelle-Vie des fonctionnaires1, illustre l’essentiel de l’obligation imposée à un assureur de faire valoir, dès que possible, les motifs de non-couverture et/ou d’exclusion invoqués à l’encontre de la réclamation de son assuré, avec un brin d’humour en reprenant le proverbe « comme on fait son lit, on se couche ».
Différentes conséquences peuvent découler de la négligence d’un assureur d’invoquer un motif de non-couverture et/ou d’exclusion. Lorsqu’un assureur ne communique pas à son assuré un motif de non-couverture et/ou d’exclusion, il peut être considéré y avoir renoncé irrévocablement, et ce, même s’il a pris la peine de réserver ses droits d’invoquer tout autre motif de non-couverture et/ou d’exclusion ultérieurement. Cette règle s’applique particulièrement aux faits que l’assureur connaissait ou aurait dû connaître. Si en cours de dossier, un nouvel élément factuel est porté à la connaissance de l’assureur, ce dernier pourra invoquer un nouveau motif de non-couverture et/ou d’exclusion sans problème, même s’il n’était pas expressément invoqué initialement.
En matière de dommages directs, un assureur qui ne communique pas sa position dans un délai raisonnable pourrait être contraint d’indemniser tout de même son assuré2. De plus, si l’assureur se voit obligé d’indemniser un assuré pour des dommages non couverts, son recours subrogatoire en sera irrémédiablement affecté, puisque la subrogation légale ne s’opère pas lorsqu’un assureur paie une indemnité non couverte. Également, si un assureur est poursuivi directement en responsabilité civile, sans que son assuré ne le soit, il ne pourra pas invoquer à l’encontre du recours du tiers des motifs de non-couverture et/ou d’exclusion qu’il n’a pas invoqués à son assuré3.
Les assureurs ont développé différents moyens pour encadrer leur pratique afin d’éviter de renoncer à des moyens de non-couverture et/ou d’exclusion. La signature d’une convention de non-renonciation (non-waiver agreement) en cours d’enquête peut se révéler utile, dans une certaine mesure, pour repousser les prétentions d’un assuré à l’effet que l’assureur aurait reconnu son droit à être indemnisé en raison qu’il a mené une enquête d’assurance.
Cependant, le moyen de choix pour communiquer à un assuré la position de l’assureur et protéger les intérêts de ce dernier demeure la lettre de réserve.
Une lettre de réserve doit :
- Intervenir rapidement à la suite de l’enquête d’assurance (idéalement en respectant le délai de 60 jours prévu à l’article 2473 du Code civil du Québec);
- Être précise et décrire en détail les moyens de non-couverture et/ou d’exclusion, de même que tous les faits pertinents, tout en demeurant très succincte, l’assuré devra toujours être en mesure d’identifier les moyens invoqués sans que l’assureur ne révèle les faits et conclusions de son enquête;
- Dans le cas d’une annulation ab initio de la police d’assurance, contenir une référence à l’envoi d’un chèque en remboursement des primes ou inclure ce chèque ou, dans les cas très limités et rares où les primes d’assurance n’ont pas à être remboursées, fournir les explications appropriées;
- S’inscrire dans une stratégie globale en lien avec le dossier, ce qui dictera le niveau de détails factuels à inclure dans les explications;
- Être complète, en évitant d’invoquer, sans discernement, trop d’exclusions inutilement et/ou sans chance de succès, ce qui affecterait la crédibilité de l’assureur et pourrait conduire à des doutes quant à sa bonne foi;
- Contenir également les moyens subsidiaires, par exemple, à un motif de nullité ab initio, peuvent s’ajouter des exclusions et/ou des motifs pour payer une indemnité proportionnelle.
En conclusion, une lettre de réserve doit toujours être rédigée avec soin et diligence : un assureur doit user de prudence dans la gestion de son dossier et invoquer le plus rapidement possible tout motif de non-couverture et/ou d’exclusion, sans quoi il pourrait se trouver en mauvaise posture et devoir assumer des pertes qu’il aurait pu éviter. L’assureur doit donc être particulièrement vigilant et apprécier chaque dossier avec diligence, sans quoi il pourrait devoir « se coucher dans un lit qui ne lui convient pas… »
- 96 CanLII 5921 (C.A.);
- Touchette c. Oppenheim, 2014 QCCS 6039;
- Di Capua c. Fonds d’assurance responsabilité professionnelle du Barreau du Québec, 2003 CanLII 1347 (C.A.), par. 86.
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