La Cour serre la vis au droit subrogatoire
Mars 2022 – Sécurité Nationale compagnie d’assurance c. Bel Bro inc., 2022 QCCS 723 (Granosik, j.)
La Cour supérieure devait évaluer la validité d’un recours subrogatoire intenté par un assureur à l’encontre d’un tiers, suivant le paiement d’une indemnité à ses assurés dans la cadre d’un règlement à l’amiable intervenu entre l’assureur et ses assurés, alors que la police d’assurance contenait des exclusions de couverture relatives à un immeuble vacant.
En 2007, l’entrepreneur général et promoteur Bel Bro inc. (« Bro ») ont construit des triplex. Pour ce faire, ils ont retenu les services du sous-traitant Plomberie Yves Goulet inc. (« Goulet »), incluant l’installation des raccords de toilettes aux immeubles. Durant cette période, Goulet s’approvisionnait uniquement auprès du distributeur de pièces de plomberie Sanbec Canada inc. (« Sanbec »).
Le 12 décembre 2007, Bro a vendu un triplex aux assurés de Sécurité Nationale compagnie d’assurance (« SécuritéNationale »). Les trois (3) logements seront loués jusqu’au 1er août 2011, date à laquelle le dernier locataire a quitté les lieux. Les assurés de Sécurité Nationale avaient planifié des rénovations pour la conversion des trois (3) logements en trois (3) unités de condominium. À partir du 1er août 2011, l’immeuble était vacant, hormis pour les visites ponctuelles des assurés de Sécurité Nationale pour des travaux d’entretien.
Le 1er août 2012 est survenu un dégât d’eau au 3e étage de l’immeuble, causé par le bris du raccord de la toilette portant des marques de serrage. Dans un premier temps, Sécurité Nationale a refusé d’indemniser ses assurés en invoquant les exclusions de couverture liées à un dégât d’eau survenu dans un immeuble « vacant », selon la définition contenue au contrat d’assurance. Les assurés ont alors intenté un recours judiciaire à l’encontre de Sécurité Nationale qui fut ultimement réglé à l’amiable. Un formulaire de quittance et transaction fut signé entre les assurés et Sécurité Nationale.
Exerçant un recours subrogatoire, Sécurité Nationale a déposé des procédures judiciaires à l’encontre de l’entrepreneur Bro, qui a appelé en garantie le plombier Goulet, lequel a appelé en arrière-garantie le distributeur Sanbec.
Absence de subrogation légale
Le premier volet analytique de la Cour a porté sur la validité de la subrogation légale selon l’article 2474 du Code civil du Québec. Sécurité Nationale a plaidé à son bénéfice la subrogation légale automatique du simple fait de l’indemnisation versée à ses assurés au terme de la transaction intervenue, et ce, sans égard pour son obligation contractuelle d’indemniser ou non en vertu de la police d’assurance. En d’autres mots, elle a plaidé qu’un versement volontaire à un assuré déclenchait le mécanisme de subrogation légale, nonobstant l’application d’une exclusion de couverture ou sans autre obligation d’indemniser.
Selon Sécurité Nationale, elle avait acquis les droits d’une « subrogation en puissance », en s’appuyant sur l’interprétation combinée de deux (2) arrêts de la Cour d’appel du Québec[1]. Conformément à la jurisprudence, la survenance d’un sinistre crée un état de subrogation en puissance. Si l’assureur a accepté son obligation future de payer, l’assureur peut, dès lors, exercer son droit subrogatoire à l’encontre des tiers responsables pour les indemnités payables, et ce, jusqu’à concurrence du montant éventuellement payé. Alors même que l’assureur, poursuivi par son assuré, refuserait de l’indemniser, dit la Cour d’appel, l’assureur aurait néanmoins déjà une subrogation potentielle à faire valoir, par un appel en garantie ou par une mise en cause forcée, à l’encontre du tiers responsable.
À l’encontre de l’argument de Sécurité Nationale, l’Honorable Lukasz Granosik, j.c.s., a opposé l’article 1657 C.c.Q., conférant le droit du tiers responsable de contester la validité de la subrogation, même en présence du paiement d’une indemnité. En effet, deux (2) conditions doivent être présentes pour donner un effet valide à la subrogation légale : 1) le paiement d’une indemnité par l’assureur à l’assuré et 2) l’obligation contractuelle d’indemniser.
L’interprétation du contrat d’assurance a permis à la Cour de conclure que l’immeuble était vacant au moment du sinistre au sens juridique, puisque personne ne l’habitait et n’était la résidence de personne. La Cour a retenu que la conversion des logements en condominiums et leur vente n’étaient qu’hypothétiques. Il aura fallu mettre en preuve une occupation prévisible à court terme des lieux pour établir l’occupation.
La subrogation conventionnelle n’était pas expresse
Subsidiairement, Sécurité Nationale s’appuyait sur la quittance signée avec ses assurés pour faire valoir que leurs droits lui étaient acquis contre l’entrepreneur Bro, jusqu’à concurrence du montant versé volontairement à ses assurés.
Des termes mêmes de la quittance, certes les assurés libèrent l’assureur, mais la Cour n’y retrouvait aucune volonté expresse[2] des assurés de transférer les droits et recours à Sécurité Nationale.
Ce qu’il faut retenir
L’assureur n’avait pas à indemniser ses assurés, puisque l’exclusion de l’immeuble vacant s’appliquait. De ce fait, le versement volontaire d’un montant d’argent par Sécurité Nationale à ses assurés n’opérait pas une subrogation légale. De même, l’interprétation de la quittance et transaction ne permettait pas de conclure à la subrogation conventionnelle expresse de l’assureur.
L’audition devant la Cour n’a pas révélé ce qui a motivé Sécurité Nationale à verser à ses assurés la quasi-totalité du montant réclamé par ces derniers, alors que l’assureur leur avait opposé une négation de couverture. Par ailleurs, le présent jugement est fort utile pour guider l’exercice du droit subrogatoire des assureurs.
Poursuivi par son assuré en réclamation d’une indemnité d’assurance, l’assureur possède déjà un droit subrogatoire « en puissance » à l’encontre du tiers responsable, du point de vue procédural. Dans l’éventualité où l’assureur verse un montant à son assuré dans le cadre d’un règlement, il serait sage de protéger son droit subrogatoire conventionnel en insérant dans la quittance un langage faisant état de la volonté expresse de l’assuré de subroger l’assureur dès qu’il y a ambiguïté quant à la couverture. Même les clauses des formulaires de Demande d’indemnité partielle et finale signés par les assurés gagneraient à être revues à la lumière des précisions apportées par la Cour supérieure en l’espèce, le tout afin d’éviter les mauvaises surprises. Et enfin, n’oubliez pas que la subrogation conventionnelle requière qu’elle soit consentie par le créancier au même moment où il reçoit le paiement[3]. Il s’agit d’une condition essentielle à sa validité.
N’hésitez pas à nous contacter pour tout questionnement concernant cette décision. Ce sera un plaisir pour nous de pouvoir vous assister.
[1]Kingsway General Insurance Co. c. Duvernay Plomberie et chauffage inc., 2009 QCCA 926 (Bich, j.); Commerce and Industry Insurance Company c. Montréal (City), 1993 CanLII 3536 (QC CA) (Chevalier, j.).
[2] Article 1653 C.c.Q.
[3] Article 1654 C.c.Q.
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