Conduite flexible corrodée: qui est responsable? Enfin une réponse claire à cette question!

Jurisprudence résumée – L’affaire La Capitale assurances générales inc. c. Construction Mckinley inc., Société d’assurance générale Northbridge, Céramique Décor M.S.F. inc., Lisa Duval et Reckitt Benckiser (Canada) inc., 200-17-030650-204

Le 14 février 2023, la Cour supérieure, sous la plume de l’honorable Alain Michaud, j.c.s., s’est prononcée sur la question en tranchant la responsabilité découlant du bris d’une conduite flexible corrodée par des émanations de vapeurs de chlore. Après une longue analyse, cette décision prend en compte les arguments à l’égard de l’entrepreneur général, le distributeur de la conduite flexible, le fabricant du produit corrosif ainsi que l’utilisation pour l’usager.

Les faits

En 2012, les assurés de La Capitale confient la construction de leur résidence à l’entrepreneur général Construction Mckinley inc.. Ils sont référés au fournisseur, Céramique Décor M.S.F. inc., chez qui ils choisissent un ensemble de robinetterie, incluant des conduites flexibles en caoutchouc recouvertes d’une gaine tressée d’acier inoxydable. L’achat est directement porté au compte de McKinley qui en fera l’installation.

À compter de 2013, la famille entretient les cuvettes de toilettes toujours avec le produit Lysol Advanced fabriqué par Reckitt Benckiser, qu’elle entrepose dans la vanité de la salle de bain. Le 2 février 2017, la conduite flexible alimentant le robinet en eau froide cède. Les experts sont unanimes : la gaine tressée d’acier inoxydable de la conduite flexible s’est dégradée par un phénomène de corrosion sous contrainte, résultant de l’émanation de vapeurs de chlore émises par le produit Lysol Advanced.

L’absence de responsabilité de l’entrepreneur général

La Cour reconnaît que McKinley est un vendeur professionnel d’ouvrages immobiliers, ce qui n’en fait pas un vendeur qui est spécialisé à l’égard de tous les accessoires pouvant être incorporés à une résidence dans le cadre d’une construction, comme les luminaires, les accessoires décoratifs et…la robinetterie. De fait, la Cour retient que McKinley n’avait aucune connaissance du phénomène de corrosion susceptible de survenir dans ces circonstances avant l’évènement en litige et n’a aucunement été impliqué dans la conception, la fabrication ou le choix des matériaux de ladite conduite. Elle conclut que l’entrepreneur général repousse avec succès la présomption de connaissance du vice caché, si un tel vice existe. Quant au devoir d’information, il ne fait nul doute pour la Cour que McKinley ne vend pas un bien de sa spécialité en facilitant l’acquisition de l’ensemble de robinetterie en l’espèce. Aucun devoir d’information ne pouvait donc lui être imputé.

Le manquement au devoir d’information du distributeur Céramique Décor

La Cour considère que la conduite flexible n’était affectée d’aucun vice caché, puisqu’un environnement corrosif ne constitue pas des conditions normales d’utilisation. De plus, les experts s’entendaient que la présence simultanée de trois (3) facteurs était requise pour entraîner le bris, à savoir une contrainte causée par la pression de l’eau, un environnement corrosif et un matériau sujet à la corrosion, soit l’acier inoxydable en l’espèce. Enfin, la Cour considère que Céramique Décor aurait pu renverser la présomption de connaissance si un vice avait existé, puisqu’elle n’aurait pas été en mesure de découvrir le vice lors de la vente du bien, en 2012. Cela dit, Céramique Décor avait connaissance du phénomène de corrosion pouvant affecter son produit à compter de juillet 2014 (période après laquelle elle avait reçu plusieurs réclamations de ce type). Malgré l’ajout d’une mention au guide d’installation de l’ensemble de robinetterie en novembre 2015 pour les clients futurs, la Cour considère que des indications suffisantes quant aux risques et dangers des conduites flexibles auraient dû être données aux clients passés de Céramique Décor. Elle conclut donc que cette dernière a fait preuve d’une certaine négligence quant à son devoir d’information et lui attribue une part de responsabilité de 25 %.

Le lien de causalité et le manquement au devoir d’information du fabricant Reckitt Benckiser

La Cour retient de la preuve que le Lysol Advanced est un produit agressif et corrosif dont les vapeurs de chlore dégagés par celui-ci ont progressivement altéré et ultimement détruit la gaine de la conduite flexible. Il faut dire que le Lysol Advanced était le seul produit utilisé depuis la construction et entreposé dans la vanité à proximité de la conduite flexible.

Ainsi, bien que Reckitt Benckiser ne soit pas fautive en offrant le Lysol Advanced au grand public, encore fallait-il qu’elle mette en évidence le caractère agressif de ce dernier sur son emballage. Or, la Cour considère que l’indication « Garder le contenant fermé hermétiquement dans un endroit frais et bien aéré » est insuffisante pour avertir le consommateur du fait que les vapeurs de chlore ont pour effet de dégrader de façon significative les métaux se trouvant dans l’environnement immédiat. Pour ne pas s’être acquittée de son devoir d’information à l’endroit des utilisateurs, une part de responsabilité de 75 % lui est attribuée.

L’absence de responsabilité des assurés de La Capitale

La Cour réitère le critère applicable au consommateur, soit la personne crédule et inexpérimentée, ayant un faible degré de discernement et qui ne porte attention qu’à ce qui lui saute aux yeux. Elle excuse l’ignorance de l’assuré de La Capitale quant aux risques présentés par les vapeurs de chlore du produit Lysol Advanced, celle-ci découlant plutôt de la contravention de Reckitt Benckiser à son devoir d’information. Quant au fait que l’assuré n’ait, de toute façon, pas lu l’étiquette, la Cour réitère que le devoir du fabricant doit d’abord être satisfait avant de vérifier si le consommateur s’est acquitté de ses propres obligations, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

À retenir

Cette décision de la Cour supérieure tranche finalement la question quant à la responsabilité afférente au bris d’une conduite flexible causé par un phénomène de corrosion. La Cour considère qu’il ne s’agit pas d’une question de vice caché, mais bien d’une question relative au devoir d’information continu qui incombe aux fabricants et autres acteurs de la chaîne de distribution quant aux risques associés à leur produit. Enfin, elle souligne également que l’entrepreneur général ne peut être considéré comme un vendeur spécialisé de tous les biens incorporés dans une résidence lors de sa construction, distinguant les biens nécessaires à l’exécution du contrat des autres centaines d’articles susceptibles de garnir un intérieur.

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