L’octroi du montant des taxes : les tribunaux ferment la porte

Octobre 2023 – Une décision récente de la Cour supérieure du Québec [1] clôt la question de la soustraction des taxes sur le montant total de l’indemnisation remboursable à la personne morale assurée. Le même calcul s’applique pour le recours subrogatoire.

Au cœur du droit québécois de la réparation d’un préjudice, il y a le principe fondamental de la juste indemnisation. C’est dans ce contexte que nous examinerons comment ce principe a été appliqué par les tribunaux concernant le montant des taxes d’achats, mettant en lumière les subtilités fiscales et l’impératif de l’équité indemnitaire.

Le contexte

Suivant un sinistre, le coût ventilé des travaux correctifs, des matériaux, de la main-d’œuvre et des services rendus nécessaires, apparaissant aux factures, contiendra nécessairement une portion pour le paiement des taxes applicables, le cas échéant. La jurisprudence nous dicte que ce montant des taxes n’est pas remboursable si l’entreprise, à qui un assureur doit effectuer un paiement, est inscrite à un programme permettant le remboursement [2]. Cette personne morale peut être l’assurée elle-même ou le tiers réclamant.

Ainsi, l’assureur subrogé doit retirer de sa réclamation contre le tiers responsable le montant des taxes des factures présentées au soutien du recours. De la même manière, la personne morale assurée poursuivant son assureur en recouvrement d’indemnités d’assurance devra retirer le montant des taxes de sa réclamation. Enfin, l’assureur responsabilité condamné à rembourser les dommages subis par une personne morale aura raison de réduire le montant des taxes du montant à verser.

Le principe : l’indemnisation juste exclut l’enrichissement

Un peu de rétrospectives. En 2015, dans l’affaire Langlois c. Great American Insurance Company, 2015 QCCS 791 [3], la demanderesse réclamait de son assureur la somme des dommages subis par son navire de pêche incendié lors de travaux de rénovation. La Cour Supérieure du Québec accueillait sa réclamation, mais réduisait le quantum en refusant d’octroyer le montant des taxes sur les factures de services de réparation. Langlois Navigation inc. était inscrite au programme de crédit de taxes sur les intrants. La Cour mentionnait que :

« Dans ce contexte, la demanderesse ne peut recevoir le remboursement des montants de taxes, car cela aurait pour conséquence de l’enrichir plutôt que de l’indemniser. »

Ce même principe a été appliqué en 2016 dans l’affaire Entreprises LT ltée c. Forage et dynamitage de la Rive-Sud inc., 2016 QCCS 1672 [4]. La demanderesse réclamait des dommages subis à son équipement concasseur de roche par une mèche en métal laissée sur le chantier par Forage et dynamitage de la Rive-Sud inc. La Cour Supérieure du Québec retenait la responsabilité de la défenderesse. Concernant l’indemnisation juste, la Cour refusait d’octroyer le montant des taxes pour la réparation du concasseur, car Entreprises LT ltée était inscrite à un programme de remboursement des taxes de vente. La Cour s’exprimait ainsi :

« Ce remboursement par les autorités fiscales constituerait une deuxième indemnité, ce qui n’est pas logique dans le cadre d’une juste indemnisation. »

Le même principe a été réaffirmé en 2019 dans l’affaire Bozzi c. Daigle, 2019 QCCS 5155. La Cour Supérieure a exclu les taxes du montant octroyé à titre d’indemnité pour effectuer les travaux correctifs à la suite de la découverte de vices de construction [5].

En 2023, le principe jusqu’alors applicable, ne semble connaître aucune contestation dans l’affaire Construction VX Inc. c. Lainco inc., 2023 QCCS 1755 [6], où les deux (2) parties se réclamaient mutuellement des dommages pour un projet de construction d’un centre sportif à la ville d’Amos. La Cour Supérieure a mis de côté le montant des taxes dans les montants accordés, car les deux (2) personnes morales étaient inscrites au Crédit de taxe sur les intrants :

« Le Tribunal en a conclu que les taxes ne peuvent être ajoutées à leurs réclamations. Elles auraient fait double emploi avec les crédits sur intrants auxquels elles ont toutes deux droit »

Ce qu’il faut retenir

Pour les réviseurs de réclamations d’assurance et les experts en sinistre, le montant des taxes n’est pas payable à l’assurée, qui est une personne morale, ni au tiers réclamant, s’il est également une personne morale, lorsque ces derniers bénéficient d’un programme de remboursement des taxes d’achats, tels que le Crédit de taxe sur les intrants ou le Remboursement de la taxe sur les intrants. Le principe est désormais solidement établi en jurisprudence : accorder le montant des taxes à une entreprise bénéficiant déjà d’un remboursement constituerait un enrichissement par dédoublement d’indemnité s’écartant du principe de la juste indemnisation.


[1] Construction VX inc. c. Lainco inc. 2023 QCCS 1755

[2] Exemple : Crédit de taxe sur les intrants (CTI) et/ou Remboursement de la taxe sur les intrants (RTI). 

[3] Langlois c. Great American Insurance Company, 2015 QCCS 791, Par. 131.

[4] Entreprises LT ltée c. Forage et dynamitage de la Rive-Sud inc., 2016 QCCS 1672, par. 74.

[5] Bozzi c. Daigle, 2019 QCCS 5155, par. 97.

[6] Construction VX inc. c. Lainco inc. 2023 QCCS 1755, par. 171.

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