Avant de nier couverture, une enquête approfondie s’impose!
Octobre 2021 – Tout contrat est régi par une obligation de bonne foi. Le contrat d’assurance est particulier en ce que son élaboration et sa mise en œuvre doivent nécessairement être basées sur une confiance mutuelle accrue entre l’assureur et l’assuré. Vu son caractère singulier, la jurisprudence accole aux parties une règle supplémentaire, soit celle d’exécuter leurs obligations avec « la plus haute bonne foi », tant au moment de la déclaration du risque qu’au moment du traitement d’une réclamation d’indemnité d’assurance. Dans ce dernier cas, la jurisprudence impose à l’assureur l’obligation de traiter toute réclamation avec « le sérieux, l’objectivité et la diligence exigée »[1], depuis la dénonciation du sinistre, jusqu’au règlement ou au refus de couverture.
Les experts en sinistre se doivent d’être consciencieux et rigoureux dans le traitement des réclamations. Toutefois, il arrive, dans de très rares cas, qu’un dossier de réclamation passe à travers les mailles du filet de la vigilance d’un assureur. Cela s’est produit dans la présente affaire qui concernait, à la base, des dommages causés à une piscine et à une cour arrière par des mouvements de sol.
En avril 2013, les demandeurs constatent des fissures au béton ceinturant leur piscine et l’affaissement de la haie. Les demandeurs se rendent au bureau de leur assureur pour dénoncer la situation. Les demandeurs attribuent la cause des dommages à l’aménagement du terrain voisin. L’assureur mandate un expert en sinistre sur les lieux. Après une visite d’une quinzaine (15) de minutes, l’expert en sinistre conclut, selon son expérience, que les mouvements de sols causant les dommages relèvent d’une cause naturelle liée aux dégels successifs, risque exclu du contrat d’assurance habitation. Néanmoins, l’expert en sinistre recommande aux assurés d’envoyer une mise en demeure à leur voisine. Il n’ouvrira aucun dossier pour la réclamation et ne prendra aucune déclaration des demandeurs.
L’assureur des demandeurs assure également la responsabilité civile de la voisine et celle de l’entrepreneur général qui a vendu et aménagé le terrain de la voisine. L’assureur des demandeurs retient donc les services d’un second expert en sinistre pour représenter la voisine et d’un troisième pour représenter l’entrepreneur général. Quelques semaines plus tard, l’expert en sinistre attitré au dossier des demandeurs transmet un courriel aux deux (2) autres experts en sinistre, pour les informer de la possibilité que la responsabilité de l’entrepreneur soit engagée et du risque de conflits d’intérêts, considérant l’implication du même assureur pour les trois (3) parties. L’expert en sinistre des demandeurs prenant sa retraite, une collègue remplaçante est placée en copie conforme de ce courriel. Il est y aussi mentionné que les demandeurs seront informés que leur réclamation est exclue, sur la base de l’exclusion du contrat d’assurance « mouvement naturel de sol », ce qui est fait le jour même. En réponse à la négation de couverture, l’avocat des demandeurs transmet une mise en demeure à la voisine. Les deux (2) autres experts en sinistre visitent les lieux.
La décision Lacoursière c. Promutuel des Bois-Francs : mise en situation
Ainsi, l’expert sur la cause du sinistre retenu par les demandeurs conclut que les dommages sont causés par l’aménagement du terrain de la voisine. Sur cette base, une mise en demeure est transmise à l’assureur des demandeurs lui reprochant son refus d’indemniser en invoquant erronément l’exclusion pour « mouvement naturel du sol ». L’assureur maintient son refus d’indemniser et refusera également de renouveler le contrat d’assurance, invoquant l’aggravation du risque constaté lors de la visite des lieux.
Les demandeurs entreprennent un recours civil devant la Cour supérieure à l’encontre de la voisine pour les dommages subis, ainsi qu’un recours en indemnité d’assurance à l’encontre de leur assureur devant la Cour du Québec. Les demandeurs déposent aussi une plainte à l’encontre de l’expert en sinistre auprès de l’Autorité des marchés financiers (ci-après « AMF ») et de la Chambre de l’assurance de dommages (ci-après « ChAD »). Cette dernière plainte fera l’objet d’un plaidoyer de culpabilité par l’expert en sinistre aux trois (3) infractions reprochées, à savoir : manque de professionnalisme lors de l’enquête, négligence dans la tenue du dossier et manque de professionnalisme pour annoncer le refus de couverture.
Le 15 juillet 2015, l’expert commun agissant dans le dossier de la Cour supérieure conclut que les dommages sont causés par des mouvements naturels du sol.
En mars 2018, l’Honorable Clément Samson, J.C.S., accordait le recours des demandeurs, rejetait la thèse de l’expert commun et retenait que l’aménagement du terrain de la voisine avait causé les dommages aux demandeurs[2]. La condamnation est ainsi payée par l’assureur de la voisine, qui, rappelons-le, est le même que celui des demandeurs.
Le comportement de l’assureur : les règles applicables
Suivant le jugement de la Cour supérieure, le recours devant la Cour du Québec a été modifié pour tenir compte de cette décision. Les demandeurs réclament alors à l’encontre de leur assureur des dommages et intérêts, notamment pour le mauvais traitement de leur réclamation et le maintien d’une défense abusive, soit leur refus d’indemniser. Ils réclament également d’autres chefs de dommages non commentés aux présentes.
Dans son jugement, l’Honorable Pierre Allen, J.C.Q., passe en revue les articles pertinents du Code civil du Québec[3], la jurisprudence et la doctrine pour résumer l’intensité obligationnelle des parties à un contrat d’assurance. L’obligation de bonne foi dans l’exécution du contrat est naturellement au cœur de l’analyse, mais il y a plus. Il s’agit d’une obligation de « la plus haute bonne foi ». L’assureur devant répondre à une réclamation, ce dernier doit considérer tous les faits du dossier, compléter son enquête et tenir compte de toutes preuves additionnelles.
À titre de sanction de la mauvaise foi de l’assureur dans le traitement de sa réclamation, en sus de son droit au montant d’indemnisation, l’assuré aurait droit à des dommages pour « humiliation, souffrances, inconvénients et atteinte à la réputation »[4], au remboursement d’honoraires extrajudiciaires et voire même à des dommages punitifs.
Quant au traitement de la réclamation des demandeurs, le Tribunal s’interroge sur l’argument de l’assureur à l’effet que ceux-ci n’auraient formulé aucune réclamation, mais demandaient simplement des précisions sur la couverture d’assurance. Dans ce cas de figure, les règles devant guider l’appréciation du comportement d’un assureur dans le traitement d’une réclamation sont inapplicables.
Le Tribunal retient qu’en avril 2013, les demandeurs ont avisé leur assureur d’un sinistre au sens de l’article 2470 C.c.Q. L’assureur a mandaté un expert en sinistre pour une visite des lieux, ce qui traduit une volonté de traiter la dénonciation des dommages comme une réclamation. Aussi, le courriel transmis par l’expert en sinistre aux deux (2) autres experts en sinistre et la lettre de négation transmise aux demandeurs traitent d’une « réclamation ». Partant, le Tribunal a analysé le comportement de l’assureur selon le cadre obligationnel et les règles applicables au traitement d’une réclamation en indemnité d’assurance.
« [105] En matière d’indemnisation, le devoir d’agir selon la plus haute bonne foi fait en sorte que l’assuré qui présente une réclamation à son assureur est en droit de s’attendre à ce que l’assureur ne prenne position, à plus forte raison s’il refuse d’indemniser pour cause d’exclusion, qu’après qu’une enquête diligente, rigoureuse et objective ait été menée permettant d’obtenir des informations suffisantes pour se prononcer. »
La décision
Le Tribunal a rejeté la prétention de l’assureur à l’effet que l’expert en sinistre était justifié de conclure que le mouvement de sol était de cause naturelle, et ce, basé uniquement sur son expérience. D’autant plus que les demandeurs avaient déposé une expertise concluant que la cause des dommages relevait de l’aménagement du terrain de la voisine. Le Tribunal conclut que l’expert en sinistre retenu par l’assureur a bâclé son enquête et que, par la suite, l’assureur a fait défaut de considérer des éléments nouveaux qui auraient dû le forcer à revoir sa position de couverture. D’ailleurs, la preuve a démontré que le dossier de l’assureur était pratiquement vide de tout élément objectif ou technique justifiant la négation de couverture. Les photographies et notes qu’aurait prises l’expert en sinistre, ce que les demandeurs contestent, n’ont jamais été retrouvées. Au procès, le témoignage contradictoire de l’expert en sinistre a amené le Tribunal à douter de sa crédibilité.
Ayant conclu au manquement à son obligation de bonne foi dans le traitement de la réclamation, le Tribunal s’interroge sur l’abus de procédures dans le recours institué devant la Cour du Québec. Le Tribunal rappelle qu’une négation de couverture, même erronée, n’est pas nécessairement abusive ou sans fondement dans la mesure où elle se justifie. Selon le Tribunal, c’est ce qui s’est produit à partir du 15 juillet 2015, date à laquelle l’expert commun dans le dossier de la Cour supérieure a déposé son rapport concluant que les mouvements de sol étaient naturels. Même si cette opinion n’a pas été retenue par la juge du procès en Cour supérieure, à partir de ce moment, l’assureur pouvait justifier son refus de couverture et le bien-fondé de sa défense dans l’instance devant la Cour du Québec.
Le Tribunal reconnaît que des honoraires extrajudiciaires de 2 500 $ sont dus aux demandeurs entre la date d’institution des procédures en Cour du Québec et jusqu’au 15 juillet 2015, en soustrayant les honoraires liés au recours introduit en Cour supérieure, auquel l’assureur n’était pas une partie, et ceux engagés pour déposer les plaintes administratives en responsabilité professionnelle à l’AMF et à la ChAD. Au chapitre des dommages moraux, le Tribunal a octroyé aux demandeurs une somme de 6 500 $ sur le montant de 15 000 $ demandé.
Ce qu’il faut retenir
La conclusion et l’exécution des obligations découlant d’un contrat d’assurance, ne pouvant être efficaces qu’en présence d’une grande confiance réciproque, commandent une bonne foi renforcée. Le traitement d’une réclamation d’assurance est un moment de la relation contractuelle où l’assuré est en position de vulnérabilité. Dans ce contexte, le comportement de l’assureur et de toute personne retenue pour enquêter un sinistre sera scruté à la loupe.
L’affaire Lacoursière demeure un cas exceptionnel où, malheureusement, des lacunes ont été constatées dans le traitement de l’enquête et de la réclamation. Cette décision rappelle à l’industrie de l’assurance que même lorsqu’une réclamation apparait initialement non couverte ou exclue du contrat d’assurance, une enquête prudente et diligente s’impose afin d’étoffer la décision prise, pour ainsi démontrer la plus haute bonne foi face aux assurés. Cette obligation d’enquête est continue et pourrait même se réactiver après un procès au fond confirmant une négation de couverture, dans l’éventualité où des faits nouveaux et déterminants seraient portés à la connaissance de l’assureur[5].
[1] Lacoursière c. Promutuel des Bois-Francs, 2021 QCCQ 7655, par. 113.
[2] Lacoursière c. Lachance, 2018 QCCS 1035.
[3] Articles 6, 7, 1375, 1433, 1434, 1458, 1607, 1611 et 1613.
[4] Par. 23.
[5] Bédard Martin c. Intact compagnie d’assurance, 2021 QCCS 3964, par. 328, 358, 364, 366, 388 et 394.
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